Chronique d’écriture : 3 janvier 2018

L’écriture est un art injuste.


Il existe des textes de 1000 mots qui ont été écrits en un seul élan et pour lesquels je n’ai eu à modifier qu’une ou deux phrases seulement.

Il existe des textes de 1000 mots qui reposent sur les cadavres de 5000 autres mots écrits, déplacés, effacés, remplacés.

L’écriture est un art injuste parce qu’il ne se soucie pas du talent. Il y a des jours où le vent tente de ralentir les phrases, d’autres où il les encourage. C’est une imprévisible météo : sans avoir commencé à écrire, un auteur ne peut en connaître l’humeur.

Tant de fois j’ai été prise par une vive inspiration qui déjà faisait défiler les mots à mon esprit — tant de fois j’ai été convaincue que l’écriture serait douce avec moi aujourd’hui. Mais ce n’est jamais un choix. Je pose mes doigts sur le clavier et je vois disparaître toutes ces phrases qui, l’instant d’avant, n’étaient qu’à quelques pas.

Pourtant, je continue à écrire. Je continue à écrire même si ce talent acclamé hier me semble désormais avoir été traîné dans la boue, je continue à écrire même si je dois cracher chacun de mes mots. Parce qu’exceller en écriture, ce n’est pas seulement le choix des bonnes phrases, c’est aussi le choix de continuer à écrire même en leur absence.

Un bon écrivain ne diminue pas sa passion pour l’écriture lorsque son niveau de talent devient bas. Un bon écrivain n’utilise pas l’écriture comme le miroir de ses propres qualités, car la plupart du temps, celui-ci ne fait que refléter des saletés.

Il est facile d’aimer un art qui semble nous aimer en retour. Lorsque les mots glissent sous les doigts avec aisance, un auteur considère sans difficulté l’écriture comme sa fidèle bénédiction. Cette romance est pourtant éphémère, car bientôt celle-ci fera tout pour le repousser ; et à ce moment-là, seul un bon auteur ne choisira pas de s’en éloigner.

J’aime cet art parce qu’il ne cesse jamais d’être un défi. Il y a tant de choses à voir dans ce monde, mais encore plus de façons de les écrire. Je sais qu’aucune page ne peut être la dernière, et si mes troubles d’écriture m’encouragent souvent à croire le contraire, j’ai conscience que c’est temporaire.

Il y a des jours où je me salis les mains en creusant le sol pour y trouver des mots — n’importe lesquels — à déposer sur ma page, et d’autres où ceux-ci sont mystérieusement placés dans ma paume. Ces moments de force ou de faiblesse ne définissent pas ma nature d’écrivain, car j’écris dans les deux cas.

L’écriture est la plus belle injustice qui soit.

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