Chronique d’écriture : 15 novembre 2017

J’écris cette première phrase parce que cela fait plus d’une heure que je fixe mon écran sans savoir quoi y mettre. Ce n’est sûrement pas le geste le plus poétique à poser, mais grâce à lui, je suis enfin débarrassée du lourd fardeau qu’est l’introduction d’un texte. J’aurais cru qu’après plus de 60 publications, mes débuts d’articles me viendraient facilement. Pourtant, cela reste encore pour moi la tâche la plus difficile de l’écriture.

Parlons d’écriture.


Je compose un roman depuis quelques temps. J’essaie, en tout cas. J’ai des textes sur lesquels je travaille depuis des années et j’espère les voir un jour alignés en tant que chapitres. Comme il est désavantageux pour un auteur d’avoir peur de partager son écriture (voir cet article), j’ai décidé de combattre ma terreur en vous immisçant un peu plus dans mon processus créatif.

Chaque fois que je me replonge dans la rédaction d’une histoire, mon réflexe immédiat est de me diriger vers sa première page : sans même la relire, je la réécris. Je suis incapable de m’en empêcher. Même après être passée à une autre scène, je ressens encore le besoin d’y revenir. Je crois avoir une obsession pour les introductions. Vous ne savez pas combien de fois j’ai recommencé celle de cet article.

Je lis à tous les jours. J’étudie les dialogues de mes livres, leurs récits, leurs personnages. Mais parmi tous les détails qui peuvent me marquer, je porte toujours une attention particulière à la première page. La première phrase. Il existe des milliards de façons pour débuter un roman : pourquoi l’auteur a-t-il choisi cette formulation ? Comment a-t-il décidé d’ouvrir la porte à son récit ?

Même si j’ai conscience que le contenu d’un roman possède infiniment plus d’importance que son début, je ne peux chasser l’idée que la qualité d’une première page est représentative de l’effort investi par l’écrivain dans le reste de son histoire. J’ai l’impression que si je ne réussis pas à construire un départ comme je le souhaite, je n’arriverai jamais à le faire avec un récit entier.

Ma relation avec les introductions de mes articles est similaire, bien que moins prononcée. J’éprouve une grande difficulté à les rédiger, mais leur valeur est beaucoup moins importante à mes yeux : au final, le lecteur n’y jettera habituellement qu’un coup d’oeil. Ce qui différencie le début d’un article à celui d’un roman est que lorsque je commence à l’écrire, j’ignore souvent tout du contenu qui suivra. Il arrive que j’en aie une petite idée, mais même lorsque je pense avoir une direction précise pour mon texte, son chemin finit toujours par dévier. C’est une des raisons pour lesquelles j’aime l’écriture. D’un côté, j’ai le contrôle de tout ce que j’écris ; de l’autre, je ne sais pas où ma prochaine phrase me mènera. Peut-être que cette technique d’écriture n’est pas universelle chez les écrivains, mais dans mon cas, c’est ainsi depuis le premier jour où j’ai écrit.

Il m’arrive de relire des textes datant d’une époque où mon âge ne possédait pas encore deux chiffres. Chaque fois, je suis choquée par la familiarité que j’y retrouve. Je suis devenue une personne entièrement différente depuis, mais je reconnais encore chaque phrase comme quelque chose que j’aurais pu écrire aujourd’hui. Pas pour le contenu ou pour la forme — ce serait décourageant si ma conjugaison était encore la même à ce jour. Ce qui est resté identique, c’est l’exaltation qui en ressort.

Le premier jour où on m’a mis un crayon dans la main et qu’on m’a demandé d’écrire, j’ai compris que je n’allais plus jamais le déposer. J’allais devenir écrivain parce que sans même savoir si je pouvais le faire, j’avais décidé de le faire. À partir de cet instant-là, j’ai vécu en considérant chaque mot écrit comme un pas de plus vers mon ultime destination. C’est ce que je faisais lorsque j’écrivais ces histoires à neuf ans, et c’est encore ce que je fais lorsque j’écris chaque phrase de cet article.

Je me bataille quotidiennement avec les introductions. Peut-être parce que je suis épuisée de les voir. Tout ce qu’elles me rappellent, c’est l’absence du mot « Fin » à la dernière page de mon récit. Un jour, il y sera.

Laisser un commentaire